jeudi 30 avril 2009

Gas-oil

"Gas-oil", un film de gilles Grangier en 1955 avec Gabin et Jeanne Moreau. C'est le monde des routiers, de la route, qui croise celui des gangsters. Un routier ramasse un homme mort et se fait prendre en chasse par une bande de malfrats. Tout ça ne peut que tourner au rififi, surtout quand la communauté des poids lourds entre dans la danse. Une touche sentimentale dans toute cette embrouille avec la présence de Jeanne Moreau. Tiré d'une série noire de Georges Bayle : "Du raisin dans le gas-oil" (Éditions Gallimard), le film est un parfait exemple de ce que l'on savait (souvent et bien) faire dans les 50's.

dimanche 26 avril 2009

Les voisins




— Ah, monsieur Loret, vous allez devoir nous quitter, votre contrat à durée déterminée va se terminer, la personne que vous remplacez rentre demain.
Dans sa blouse bleue de magasinier, Jacques Loret, un trentenaire grand et sec à la calvitie galopante, regarda son interlocuteur d’un air dépité.
— Ah bon, je pensais qu’il ne rentrerait peut-être pas.
L’interlocuteur, un homme petit, malingre dans son costume gris, qui officiait dans l’entreprise en tant que directeur des Ressources Humaines, hocha la tête.
— Et si, il revient. Vous resterez jusqu’à demain pour lui passer les consignes. Nous comptons sur vous, monsieur Loret.
— Vous pouvez, fit l’intéressé en s’efforçant de ne pas grimacer.
Le soir venu, il retrouva sa femme et ses deux enfants, dans la maison que la famille louait depuis un mois.
Il se laissa tomber sur le canapé du séjour, acquis avec tout l’ameublement de la maison dans un discount au cours des soldes, et déclara :
— C’est foutu, on va devoir retourner vivre en appartement.
— Quoi ! fit sa femme, une brunette de 28 ans.
— Oui, reprit son mari, je termine mon CDD demain. Le gars que je remplaçe rentre à la boîte ! Alors, avec tous les deux au chômage, on ne pourra pas rembourser le crédit des meubles, de la voiture, et assurer le loyer de la maison. Il faut choisir.
— Mais… mais, bredouilla sa femme, tu m’avais dit que…
— Oui, je sais, que le gars que je remplace ne devrait plus rentrer. C’est ce qu’on m’a laissé croire. On m’a même dit qu’il ne devait plus remarcher et finir sa vie dans un fauteuil roulant. Et bien sûr, que c’était moi qui allais hériter de sa place.
À ce moment-là, Loret aperçut par la porte-fenêtre du séjour, sa voisine d’à côté qui s’en allait arroser ses fleurs dans son patio. C’était une septuagénaire qui profitait d’une retraite paisible avec son mari.
Loret prit un air dégoûté.
— Et celle-là qui vient me narguer avec ses fleurs, lâcha-t-il la bouche amère. Moi aussi, je voulais le fleurir le patio ; je voulais en mettre partout des fleurs, mais ce n’est plus la peine d’y penser.

****

Le lendemain, il vit arriver en moto celui qu’il avait remplacé. C’était un grand gaillard bardé de cuir. Il s’efforça de se montrer aimable avec lui, mais à la fin de la matinée, il ne put s’empêcher de lui demander :
— Au fait, vous n’avez pas eu peur de remonter sur une moto ?
L’autre s’esclaffa :
— Et pourquoi donc ?
Loret ravala sa salive avant de répondre :
— Eh bien, il paraît que vous avez eu un sacré accident. Que vous avez même failli…
— Y rester ? le coupa l’autre.
— Ben oui.
L’autre fit un vague mouvement de la main.
— Tout ça, c’est déjà oublié ! s’exclama-t-il. Ça n’a en rien entamé mon amour de la moto et surtout de la vitesse ! Je prends toujours autant de risques.
— Alors, ça, c’est incroyable, dit Loret.

****

Le midi, il se hâta de manger, puis sortit du réfectoire de l’entreprise. Il se rendit à l’endroit où son collègue avait garé sa moto. C’était une Harley ; une moto que Loret connaissait bien. Son père en avait possédé une jadis. Il avait même appris à bricoler ce type d’engin.
Il regarda sa montre ; il avait du temps devant lui.

****

Deux jours plus tard

Éliane Sorot, la voisine de Loret sortit dans son patio et commença à s’occuper de ses fleurs qui grimpaient le long du grillage séparant sa maison de celle de son voisin.
Elle sursauta quand elle entendit :
— Bonjour !
Cette petite femme aux cheveux blancs leva la tête, et vit Loret en survêtement qui la regardait en souriant.
— Ça va, madame ? fit-il.
— Ça va, dit Éliane. Et vous aussi apparemment.
— Ouais ! fit Loret. Figurez-vous que je vais pouvoir garder la maison.
Éliane prit un air interrogateur.
— Oui, reprit Loret, le gars que je remplaçais et qui était revenu à l’entreprise, a eu un nouvel accident de moto, et cette fois-ci, il est mort.
— Ah oui, je me souviens, fit Éliane, vous m’aviez dit que vous remplaciez quelqu’un et…
— Oui, et cette fois-ci, je le remplace pour de bon, il ne reviendra plus. Il faut dire que ce type était un inconscient. Il avait déjà failli y passer la première fois, et il continuait de rouler comme un fou. C’était un dingue de vitesse ; il me l’a dit ! Là, il ne s’est pas arrêté à un stop et s’est fait renverser par une voiture. Il est mort sur le coup à ce qui paraît.
— Mon dieu ! fit Éliane, le pauvre garçon !
Loret prit un air dégagé.
— Oh, il ne laisse personne derrière.
— Comment cela ? s’étonna Éliane.
— Oui, fit Loret, il n’avait pas de femme, pas d’enfants, pas de famille. Non, il ne laisse personne derrière lui.
À ce moment-là, deux petites filles vinrent rejoindre Loret, deux petites filles absolument semblables.
— Ce n’est pas comme moi, reprit Loret en regardant les jumelles d’un air bienveillant. Maintenant que j’ai un emploi sûr et que je vais pouvoir garder la maison, je vais leur installer un toboggan, une balançoire. Puis je vais mettre des fleurs partout dans mon patio. Je vais vous faire une sacrée concurrence !
— Eh bien, c’est parfait, fit Éliane un peu mal à l’aise.
Elle rentra dans sa maison, et trouva dans un fauteuil du séjour, son mari Victor, un petit bedonnant à la moustache aussi blanche que la couronne de cheveux qui entourait son crâne.
Éliane lui raconta ce que venait de lui dire leur voisin, et Victor demanda avec un petit sourire :
— Ce ne serait pas lui, par hasard, qui aurait saboté les freins de la moto de son collègue pour avoir sa place une fois pour toute ?
Éliane prit un air offusqué.
— Voyons ! où vas-tu chercher des idées pareilles ? Il paraît que le pauvre garçon qui s’est tué, était un fou de vitesse.
— Alors, si c’est la vitesse qui est en cause, je n’ai plus rien à dire, fit Victor.

****

Les mois s’écoulèrent, et le patio de Loret s’égaya de plus en plus. Comme annoncé, apparurent un toboggan, des balançoires et même une piscine gonflable dans laquelle ses filles s’ébattaient pendant des heures quand il faisait chaud. Mais surtout, Loret sema des fleurs, inonda son patio de plantes, en mettant sans cesse au défi Éliane de le surpasser. Alors celle-ci jouait le jeu, faisait semblant d’être jalouse, ce qui paraissait ravir son voisin.
Mais un soir, alors que les Sorot rentraient chez eux après quinze jours d’excursion avec un club du troisième âge, Éliane eut le désagrément de trouver ses capucines qui grimpaient le long du grillage et avaient tendance à s’inviter chez Loret, couvertes d’immondices.
Elle en fut très contrariée, et Victor quant à lui, se montra très inquiet.
Et ça ne devait pas s’arranger le lendemain, quand son épouse lui apprit qu’elle avait vu Loret dans le patio, et qu’en guise de bonjour, il avait émis un grognement des plus hostiles.
— J’espère qu’il n’a pas d’ennuis, dit-elle.
— Va donc savoir, dit son mari en haussant les épaules.
Les semaines passèrent, et il apparut évident que Loret n’allait plus au travail.
— Il ne serait quand même pas au chômage ! dit Alors Éliane.
Victor haussa encore les épaules.
— La situation économique n’est guère florissante depuis quelque temps. Des entreprises ferment et licencient. Ce ne serait pas étonnant.
Quelques jours plus tard, le toboggan et les balançoires disparurent, les petites filles n’apparaissant d’ailleurs plus dans le patio depuis un certain temps.
Et quand un matin, Victor rentra des couses en déclarant à sa femme qu’il y avait une camionnette devant chez les Loret, avec déjà des meubles dedans, il fut évident que leur voisin était contraint de quitter sa chère maison.
Éliane s’abstint de se rendre dans son patio pour aller voir ses fleurs durant toute la journée, mais en fin d’après-midi, n’y tenant plus, elle ouvrit la porte-fenêtre et sortit.
Victor était plongé dans une encyclopédie, et quand soudain il entendit une détonation, il en lâcha son livre. Il se leva de son fauteuil, et regardant par la porte-fenêtre, vit Éliane qui s’écroulait dans l’herbe. Il se précipita dans le patio, et aussitôt une voix ordonna :
— Ne bouge plus !
Victor s’immobilisa, et découvrit son voisin armé d’un fusil qui le mettait en joue.
Les lèvres du septuagénaire commencèrent à trembler ; mais une seconde détonation qui le foudroya, l’empêcha d’émettre le moindre son.

****

Loret rentra tranquillement chez lui avec son fusil à la main. Il y retrouva sa femme qui tenait contre elle en tremblant les jumelles affolées.
— Allez, fit Loret, on peut quitter la maison maintenant ; il n’y a plus personne pour nous narguer.

Patrick S. VAST - Avril 2009

samedi 25 avril 2009

Boogie Woogie Sisters

The Andrew Sisters, le son des 40’s, les prémisses du rock’n'roll.

vendredi 24 avril 2009

Le miroir à deux faces

"Le miroir à deux faces" d'André Cayatte en 1958, avec Bourvil et Michèle Morgan forcément excellents. C'est tout l'art du paraître et du disparaître que Cayatte décrit dans ce film noir, ce polar du quotidien, quasiment domestique. Un professeur de calcul épouse par petite annonce une femme au visage ingrat qui se fait ultérieurement opérer. Alors, tout dérape, et c'est là tout le sel de ce polar de proximité, de ce classique du cinéma hexagonal, de ce thriller de gens ordinaires et forcément humains.

jeudi 23 avril 2009

New Orleans

Sidney Bechet et l’inusable « St. Louis Blues », ou les racine profondes du jazz, l’apologie du tempo qui bat, qui bat jusqu’au fond de nos nuits bleues.

mercredi 22 avril 2009

Les fantômes du chapelier


Un excellent Chabrol tiré d'un excellent Simenon. Le chapelier et ses victimes, des amies de sa femme, elle-même morte. Le chapelier sème le trouble dans les rues pluvieuses de La Rochelle. C'est un film où la gastronomie tient un rôle important. Le chapelier s'offre de bons petis plats. Serait-ce un antidote contre le morbide ? Serrault et Aznavour très bons dans leur rôle. Un grand polar, un grand film psychologique : tout l'art de Simenon mis en images.

lundi 20 avril 2009

Pile ou face


« Pile ou face » en 1980 : un film de Robert Enrico adapté de « Suivez le veuf » d’Alfred Harris. Dans les sixties, les bouchers affichaient le slogan « Suivez le bœuf ». Pas très végétarien tout ça. Mais bon, « Suivez le veuf » était finalement une bonne boutade. En tout cas, dans le film en question, Philippe Noiret le suit le veuf. Et comme celui-ci et Serrault ne font qu’un, le jeu d’acteur est merveilleux. Et comme la défunte est malencontreusement tombée de sa fenêtre, il n'a peut-être pas tort de suivre le veuf, Noiret qui joue le flic. Puis tout ça se passe sur un fond de trafic de drogue. Oui, ça fait beaucoup tout ça.


samedi 18 avril 2009

L'étrangleur de Carter Street

Anne Perry, c'est le polar victorien, le XIXème et ses énigmes. Autant je suis assez allergique aux histoires de serial killers car la plupart confinent à la caricature, autant lorsqu'elles sont saupoudrées de parfum so british, je craque. L'ombre du Ripper et de ses mystères est toujours là, et pour les aventures d'une Sherlock Holmes en jupons défiant les us et coutumes de son époque, on ne peut que se laisser entraîner.

vendredi 17 avril 2009

Ornett

Cool cool Ornett. Et le saxe prend irrémédiablement la suite…

jeudi 16 avril 2009

120, rue de la gare

L'un des premiers romans de ce vieux grigou de Malet, mis en image par Tardi. Un cocktail explosif de réussite. Une histoire pas possible prenant naissance dans un stalag. Ambiance de guerre, d'occupation. De zone libre ou non. Un amnésique qui prononce "120, rue de la gare". Et c'est parti pour Burma en rescapé de la débâcle. Des personnages typiques de la mythologie polareuse, une histoire savoureuse, et le tout dessiné en noir et blanc comme dans les films de gangsters des années 50.

mercredi 15 avril 2009

Freddie King

Comme le disait si bien l’animateur d’une émission de Classic 21 (radio belge) :

Don’t forget the boogie !


lundi 13 avril 2009

Le coup de l'escalier


"Le coup de l’escalier", "Odds against tomorrow", un film de Robert Wise en 1959 avec notamment Robert Ryan et Harry Belafonte.
Dans les années 80, il existait sur la 3ème chaîne de la télévision française, une émission appelée « La dernière séance », présentée et animée par Eddie Mitchell, qui nous montrait quelques joyaux du cinéma américain des fifties/sixties, dont celui-ci. Un bon polar du genre, avec hold-up, flics et gangsters, mais en plus une réflexion sur le racisme et ses… conséquences. Dans ce cas présent, les conséquences sont d’ailleurs particulières. Mais un film qui met en vedette un escalier, ne peut être que particulier, et pour la bonne cause.

dimanche 12 avril 2009

D'où viens-tu Johnny ?


Eh oui, en ce jour de fête du chocolat, petit divertissement avec un bon petit film polaro-western de 1963. Un chanteur de rock en prise avec des trafiquants de drogue qui va se réfugier en Camargue. L’intrigue et le décor étaient plantés, et voilà le genre de concept qui me plaît à ravir. Alors, allons-y et à plein cœur !


vendredi 10 avril 2009

Le chat exécuté

Jean Farin n’était pas mécontent d’avoir un week-end prolongé. Cette après-midi encore, il s’était copieusement enguirlandé avec Dujoux, son directeur commercial. Ce n’était pas la première fois, mais certainement celle de trop, car il était allé jusqu’à lui souhaiter de disparaître dans les plus brefs délais de la surface de la planète. C’étaient exactement les mots qu’il avait employés, et bien sûr Dujoux l’avait très mal pris. Bon, ce n’était pas réellement une menace de mort, mais ça y ressemblait quand même.
Mais Farin n’y pensait plus ; il avait quatre jours devant lui pour décompresser, et pour l’heure, il était tranquillement installé dans son canapé devant la télé, avec près de lui deux de ses quatre chats qui ronronnaient dans leur panier.
Il n’aurait voulu pour rien au monde être dérangé, aussi quand soudain on sonna à la porte, il décida tout simplement de ne pas répondre. Il continua de regarder la télé, et peut-être un petit quart d’heure plus tard, on sonna de nouveau. Il laissa échapper un juron ; mais quand un autre coup de sonnette, plus strident encore que les précédents retentit, il se leva en bougonnant du canapé.
Après avoir ouvert la porte, il trouva devant lui un grand énergumène aux yeux torves, qui s’exclama :
— Ah, quand même !
L’homme avait la voix pâteuse, il était de toute évidence ivre.
— Regardez ! continua-t-il.
Farin regarda aussitôt ce que lui montrait du doigt l’individu, et tressaillit en découvrant par terre, allongé contre le mur près de la porte, un chat noir et blanc. Il avait un peu de sang au bout du museau, et était tout ce qu’il y a de plus mort. Farin songea aussitôt à son chat Pompon ; il lui ressemblait. Mais, en y regardant de plus près, il fut soulagé ; la répartition du noir et du blanc n’était pas la même que chez Pompon ; puis de toute façon, celui-ci était en train de ronronner dans son panier. Cela revint d’un coup à l’esprit de Farin.
— Mais, ce n’est pas mon chat ! s’exclama-t-il sans pouvoir cacher sa joie, alors que la vue d’un chat écrasé l’attristait toujours d’habitude.
L’autre continuait de le fixer avec ses yeux torves et déclara :
— Il a été exécuté !
— Exécuté ? fit Farin.
— Oui, c’est une voiture, ou même une bande qui a fait ça ; qui l’a exécuté.
— Peut-être, et même sans doute, fit Farin, seulement, ce n’est pas mon chat. Je ne peux pas m’en occuper.
— Mais, objecta l’autre, votre voisin, là-bas, m’a dit que c’était à vous, que vous avez plein de chats !
L’individu désignait une maison pratiquement en face de celle de Farin, où habitait un vieux qui était persuadé qu’il recueillait tous les chats errants du quartier. Tout cela parce qu’il avait accueilli quatre ans plus tôt, une chatte qui avait accouché dans son cagibi de quatre chatons qu’il n’avait pas eu le cœur de séparer par la suite.
— Eh bien, fit-il, vous irez dire à ce monsieur que celui-ci ne m’appartient pas. Et sur ce, je vous demande de le reprendre.
L’autre s’énerva :
— Mais qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse ? J’ai rien à en faire, moi ! Je l’ai ramassé au-dessus, près du pont. Puis, y’a votre voisin qui a été formel, il m’a bien dit que c’était à vous !
Farin sentait que le seul moyen de s’en sortir était de prendre le chat mort en charge.
— Bon, OK, fit-il, je m’en occupe.
— Ah, quand même ! dit l’autre. C’est quand même pas à moi de me charger de ça ! J’en ai déjà fait assez !
— Oui, oui, pas de problème, confirma Farin, vous pouvez y aller.
L’autre bougonna un vague au revoir et s’en alla.
Farin souffla un grand coup. Ça ne l’amusait vraiment pas de devoir enterrer un chat. Il songea assez vite à un coin de campagne à la sortie de la ville où il allait se promener de temps en temps. Oui, c’était l’endroit idéal. Il rentra tout d’abord chez lui, prit dans sa cuisine un sac en plastique, et une fois ressorti, attrapa le chat par ses pattes arrière et le mit dedans. Cette opération lui avait été pénible, mais il n’en avait pas encore fini avec sa tâche de fossoyeur.
Il plaça le sac dans le coffre de sa voiture, ainsi qu’une bêche dont il ne s’était jamais encore servi, et peu de temps après, il était au volant, roulant vers l’endroit auquel il avait pensé.
Le jour commençait à peine à décliner quand il avait quitté sa maison, et lorsque dix minutes plus tard il arriva à destination, il ne faisait pas encore très sombre.
L’endroit en question était une route gravillonnée bordée d’un côté par un canal, et de l’autre par un talus herbeux, avec à son sommet une zone boisée. Il gara sa voiture sur le bas-côté près du talus, puis en descendit. Il ouvrit le coffre du véhicule, et en voyant le sac qui épousait la forme du chat mort, sentit son cœur se serrer. Il attrapa avec ferveur le manche de la bêche comme pour se motiver, puis décida d’aller tout d’abord creuser un trou et de revenir chercher le sac. Il grimpa le talus qui n’était pas trop raide, et arriva au milieu d’arbres. C’était vraiment l’endroit idéal pour offrir une sépulture au chat. Seulement, Farin n’était pas vraiment un jardinier émérite, et lorsqu’il eut planté sa bêche dans le sol durci par la sécheresse, il réalisa qu’il n’arriverait jamais à creuser le moindre trou.
Alors, fort découragé, il décida de redescendre. Il venait juste d’émerger des arbres quand un bruit de moteur attira son attention. Il resta immobile au sommet du talus, et vit passer sur son tracteur, un homme moustachu et coiffé d’une casquette, qui le fixa avec des yeux de fouine. Farin sentit de la sueur couler dans son dos. Il avait comme l’impression d’être pris en flagrant délit. Mais il réussit à se convaincre assez vite qu’il n’avait rien à se reprocher ; il se hâta de regagner sa voiture, replaça la bêche dans le coffre qu’il referma, et très vite quitta les lieux.
Il retrouva le centre-ville. Maintenant, la nuit était tombée ; alors, apercevant un récup’ verres dans un coin désert, il s’arrêta. Il n’était pas fier de ce qu’il allait faire, mais il ne voyait plus d’autre solution.
Et lorsque quelques secondes plus tard sa voiture redémarra, le sac en plastique contenant le chat était posé tout contre le récup’ verres.

***

Quelques heures plus tard

Stéphane Larusto conduisait l’air satisfait. Ce quadragénaire rondouillard était un collègue de Jean Farin. Il avait conscience que ce dernier le méprisait parce qu’il s’aplatissait toujours devant Dujoux. Seulement, c’était réciproque. Il méprisait tout autant Farin qu’il considérait comme un grand gueulard, juste bon à vociférer, alors que lui s’était montré capable de bien plus, en assassinant le directeur commercial une petite vingtaine de minutes plus tôt ; en le faisant taire une fois pour toutes. Il savait depuis plusieurs jours que sa future victime allait rester tard au bureau ce soir-là pour terminer un travail. Aussi, il était revenu à sa société à l’heure où il n’y avait même plus un chat dans les parages, et avait garé sa voiture à l’arrière du petit bâtiment abritant l’entreprise. Une fois à l’intérieur, il avait grimpé jusqu’au bureau de Dujoux. Celui-ci avait été très étonné de le voir. Mais Larusto lui avait dit qu’il avait un document très important à lui montrer. L’autre l’avait cru et l’avait suivi. Larusto lui avait montré un dossier sur son bureau, et tandis que le directeur commercial s’était penché pour le regarder, il lui avait plaqué un tampon d’ouate imbibé de chloroforme sur le nez. Dujoux s’était assez vite écroulé sur la moquette, puis Larusto l’avait étranglé avec une cordelette qu’il avait sortie de la poche de sa veste. Ensuite, bien que le directeur commercial fût d’un bon gabarit, Larusto qui avait été élevé dans une ferme et rompu aux durs travaux des champs, n’avait pas eu trop de peine à le hisser sur son dos et à le sortir de l’immeuble pour le caser dans le coffre de sa voiture.
Maintenant, il allait enterrer son cadavre. Pour cela, il avait choisi un coin de campagne à la sortie de la ville que lui avait montré un jour Farin, quand ils ne se méprisaient pas encore mutuellement.
Il arriva à destination, et les phares de sa voiture balayèrent une route gravillonnée bordée par un canal et un talus herbeux. Il se gara sur le bas-côté, près du talus, et coupa le moteur.
Il se prépara à aller creuser un grand trou ; ce qui ne pouvait guère rebuter un fils de paysan, même si la terre était durcie par la sécheresse.

***

Lundi, fin du week-end prolongé

Farin venait de passer les quatre jours les plus affreux de toute sa vie, alors qu’il espérait tant de son week-end prolongé. L’épisode du chat l’avait complètement abattu. Il s’en voulait surtout de ne pas avoir été capable de lui offrir une sépulture décente, et de l’avoir abandonné près d’un récup’ verres. Durant ces quatre jours, il n’avait pas osé croiser le regard de ses propres chats ; il aurait eu trop peur d’y lire des reproches.
C’est donc la mort dans l’âme qu’il arriva à sa société. Il ressentit quand même tout de suite un peu de réconfort, en s’apercevant que Dujoux ne traînait pas comme à son habitude dans les couloirs prêt à lui mettre le grappin dessus, surtout après ce qui s’était passé la dernière fois qu’il l’avait vu.
Il se cantonna dans son bureau durant toute la matinée, et quand à midi, un collègue lui apprit que le directeur commercial n’était pas encore arrivé et qu’il devait être souffrant, il eut l’impression d’être soudain très léger, et en oublia complètement l’épisode du chat.
Dujoux fut encore absent dans l’après-midi, confirmant ainsi qu’il était malade, ce qui ne lui était encore jamais arrivé en dix ans.
Mais le lendemain, vers les 10 h, les événements prirent une tournure singulière. En effet, tout les membres du personnel furent réunis par le PDG dans la cafétéria, et il leur apprit que M. Dujoux avait disparu, et qu’un policier allait interroger chacun d’entre eux.
Farin retrouva son bureau, et attendit patiemment que son tour vienne. Il en était arrivé à croire qu’on l’avait oublié, quand on frappa à sa porte, le faisant sursauter.
— Entrez ! fit-il.
La porte s’ouvrit et apparut un homme grand en costume trois pièces un peu défraîchi, et à l’air renfrogné.
— Monsieur Jean Farin ? fit-il.
L’intéressé acquiesça de la tête, et l’autre poursuivit :
— Capitaine Leloux. À ce qui paraîtrait, vous auriez eu une altercation avec M. Dujoux, jeudi dans l’après-midi ?
— Heu… oui, fit Farin, soudain très inquiet.
— Vous l’auriez même menacé de mort ?
— Oh, ce n’étaient que des mots… des mots qui ont dépassé ma pensée.
— M’ouais, et vous pouvez me dire ce que vous avez fait jeudi soir ?
Interloqué, Farin réfléchit un court instant, puis dit :
— Je suis resté chez moi, à regarder la télévision.
— Seul ?
— Heu… oui, je suis célibataire.
— Très bien, je prends note, fit le capitaine Leloux.
Puis il se retira.
Farin était maintenant franchement mal à l’aise. Il avait menti ; il n’était pas resté tout le temps chez lui. Mais c’était involontaire ; il avait tellement voulu oublier l’épisode du chat écrasé… De toute façon, il ne se serait pas vu en train de raconter au capitaine qu’il était sorti pour aller enterrer un chat mort qu’on lui avait généreusement légué, et qu’il l’avait finalement laissé près d’un récup’ verres. Alors, c’était aussi bien d’avoir agi comme il l’avait fait. Puis, de toute façon, il n’y avait pas grand-chose à craindre. Dujoux avait dû avoir un coup de déprime, et partir on ne sait où pour quelques jours. Il allait réapparaître d’un moment à l’autre. Qui aurait bien pu l’assassiner ? Personne ! Même pas lui qui pourtant ne verrait pas d’inconvénients à ce qu’il disparaisse pour de bon.
Mais le lendemain, le directeur commercial était toujours porté disparu, et le jour suivant aussi.
Farin commençait vraiment à exulter, en se gardant bien toutefois de le montrer. Et ce jeudi matin, soit tout juste une semaine après l’altercation qu’il avait eue avec Dujoux, il était penché sur un dossier, quand la porte de son bureau s’ouvrit d’un coup pour laisser apparaître le PDG, un petit homme sec et nerveux qui arbora une mine très crispée quand il lui dit :
— Monsieur Farin, il y a deux policiers qui désirent vous emmener !
— M’emmener ? fit Farin, soudain très pâle.
Il se leva de son bureau, et quand il fut dans le couloir, il vit en effet deux policiers en uniforme.
— Ne vous inquiétez pas, fit l’un des deux, un grand à l’accent du Sud. C’est juste une formalité.
Farin voulut bien se laisser rassurer et suivit les deux policiers. Ils arrivèrent tous les trois à une voiture occupée par deux autres fonctionnaires se tenant à l’avant, et Farin monta à l’arrière du véhicule. Il se retrouva bientôt coincé entre les deux hommes qui l’avaient escorté, et la voiture démarra. Quand celle-ci prit la sortie de la ville, Farin se sentit mal à l’aise. Et cela s’accentua quand elle s’arrêta à l’endroit même où il était venu pour enterrer le chat.
Il sortit de la voiture, et monta le talus avec les policiers. Il crut qu’il allait défaillir quand il découvrit au milieu des arbres du sommet plusieurs personnes, mais surtout en baissant les yeux, un trou conséquent, et à côté un corps enfoui dans une housse blanche.
Il releva les yeux et croisa aussitôt le regard du capitaine Leloux qui annonça :
— Le corps de M. Dujoux a été découvert par le chien d’un promeneur qui a gratté la terre.
— Ah oui, se contenta de dire Farin en soutenant machinalement le regard du capitaine.
Mais celui-ci le détourna pour demander :
— C’est bien l’homme que vous avez vu jeudi soir ?
Farin regarda alors celui à qui s’était adressé le policier, et tressaillit en voyant deux yeux de fouine qui le fixaient avec attention. Il reconnut sans mal l’homme qui était passé sur son tracteur l’autre soir. Et celui-ci afficha une mine des plus réjouies lorsqu’il répondit :
— Oui, pas de doute possible, c’est bien lui. Je le vois encore avec sa bêche à la main. C’est marrant, mais j’ai tout de suite pensé qu’il avait fait un mauvais coup ; un très mauvais coup même !

Patrick S. VAST – Avril 2009

jeudi 9 avril 2009

Play-back

Daeninckx, ou le polar social des années 80, comme les USA ont connu celui des années 30, de la grande crise, sans doute bien pire que celle dont on nous rebat les oreilles depuis l'automne. Mais la mémoire est sélective, la preuve, plus personne ne parle de celle qui suivi d'une année le premier choc pétrolier, en l'occurence celle de 1974 marquant la fin des 30 Glorieuses.
Mais pour en revenir au polar et qui plus est à "Play-back", on plonge là dans le naufrage de la sidérurgie lorraine des 80's, et c'est dans ce décor, dans cette ambiance de déclin économique et de traumatisme social, que Daeninckx a l'idée formidable de planter une ancienne star du show-bizz. L'auteur s'en donne à coeur joie pour dénoncer ensuite les magouilles d'un certain milieu, sur fond de cheminées d'usines éteintes.

mercredi 8 avril 2009

Maigret en meublé

Sacré Simenon ! Il n'y avait que lui pour installer Maigret dans un meublé. Tranquille dans ses pénates pour observer la rue, et voir, déduire, découvrir.
Un Maigret pantouflard ? Pas si sûr ! En tout cas, une bonne ambiance feutrée, qui fleure bon l'intrigue délicieusement surannée, de celles que je préfère.

lundi 6 avril 2009

D'un fantôme l'autre

Bonne coïncidence sans doute ! Je cherchais une vidéo de l’excellent film « Les fantômes du chapelier » d’après Simenon, quand je suis tombé sur la vidéo des Fantômes, un groupe instrumental des années 60 qui, à l’époque, me fascinait.
Un blog c’est fait aussi pour les coups de cœurs, alors ne nous en privons pas.

dimanche 5 avril 2009

Western Swing

Bob Wills and his Texas Playboys, mélange de country et de swing, avec quelques relents du Hot Jazz de France à la sauce texane.

samedi 4 avril 2009

A history of violence


« A history of violence », un film de David Cronenberg en 2005, avec Viggo Mortensen, Maria Bello, Ed Harris… diffusé sur la 2ème chaîne de la télévision française dimanche dernier.
Dans une bourgade des USA vit une petite famille tranquille, avec le papa qui bosse pénardement dans un bar. Seulement, vu la façon avec laquelle il vient à bout de malfrats qui un soir veulent faire les méchants dans l’établissement, on se doute que ce gars-là ne s’est pas toujours cantonné à servir des bières ou des cafés…

jeudi 2 avril 2009

Belphégor


En abordant l’année 1965, la France gaulienne de l’époque ne se doutait pas de ce qui l’attendait. Et tout commença exactement le samedi 6 mars, avec le 1er épisode de « Belphégor, le fantôme du Louvre », diffusé sur la 1ère chaîne. Adapté par Claude Barma d’un roman d’Arthur Bernède, un inénarrable feuilletoniste, la série allait compter en tout 4 épisodes plus captivants les uns que les autres. Polar teinté d’ésotérisme, la recette fit merveille, et on ne l’a toujours pas oublié, ainsi que sa distribution au top.


mercredi 1 avril 2009

La Faucon Maltais




« Le faucon maltais », où les aventures de Sam Spade, incarné par Humphray Bogard. Tout l’art de la Noire à la Dashiell Hammett. Toute l’époque des pulps, dont Black Mask, revue mythique où la nouvelle polar s’épanouissait.
« Le faucon maltais », une histoires de privés, de meurtres d’ambiguïté, avec sa femme fatale, et une mystérieuse statuette comme fil conducteur, comme écrin à un récit au cordeau.